
Sur un glacier au cœur des Alpes


Un premier pas, puis le suivant
Certains défis nous semblent impossibles à réaliser. On se dit qu’il faut être né ici ou là, qu’il y a trop à apprendre, que c’est trop loin, ou que l’on a pas le matériel et la bonne condition physique. Autant être honnête, nous nous cherchons aussi beaucoup d’excuses. C’est tout à fait naturel parce que notre mental cherche à nous préserver des risques. Mais risquer, c’est aussi vivre ! Alors je crois que parfois, il faut juste se lancer. Faire simplement un premier pas, puis avoir l’audace de faire le second, et ne pas douter une seule seconde que l’on sera capable d’en faire un troisième. Ainsi, morceau par morceau, on arrive là où l’on veut aller.
Je commençais à avoir cette conviction profonde. En fait, je crois que je n’avais plus peur de rien. Je voulais me tester en plongeant dans un environnement qui m’était totalement inconnu. J’allais bientôt faire l’ascension d’un glacier et je ne me doutais pas encore que j’allais faire une rencontre si marquante.
Demain, je pars à l’aventure !
Après quelques heures de train, j’arrive enfin à Sion, au sud-ouest de la Suisse. C’est de là que demain, je devrais trouver un moyen de monter à Arolla, pour rencontrer Serge et l’équipe avec qui nous grimperons au sommet du Mont Brûlé. Je passe la nuit dans un petit hôtel puis je repère un bus, tôt le matin. C’est drôle comme, en attendant sur ce banc, loin de chez moi, avec mon sac à dos et mes chaussures accrochées autour du coup, je me sens bien. Demain, je pars à l’aventure !
La suisse est magnifique. Je regarde les montagnes enneigées à travers la vitre du bus, je suis en même temps bercé par les virages de cette jolie route de montagne. Le chauffeur semble la connaître comme sa poche. Avec God is an Astronaut dans les oreilles, mon esprit se promène déjà dans ce paysage grandiose.
Serge Roetheli, le Forest Gump suisse
Le grand jour est arrivé. Il est environ 10h00 quand nous nous retrouvons avec Serge Roetheli. Nous sommes tous à peu près du même âge, il y a Julie, Jean-Baptiste, et Louis. Après un premier tour de table, Serge nous explique son parcours. Il a 64 ans et les journaux l’ont surnommé le Forest Gump Suisse. Entre 2000 et 2005, il a couru près de 41 000 kilomètres dans le monde entier. 5 ans de course à pied, avec pour seule assistance, sa compagne qui le suivait en moto. 6 fois champion de boxe en Suisse, il a aussi traversé l’Atlantique à la rame et récolté des sommes considérables pour diverses associations. Serge a le courage d’un combattant et le coeur d’un voyageur. Quel grand Monsieur !
Il est temps de partir pour le refuge des bouquetins, à 2980m. Serge ouvre nos sacs : « Ca c’est pas utile, ça tu n’as pas besoin, allez les jeunes vous me videz un quart de votre sac ! ». En effet, nous allons avoir besoin d’embarquer du matériel. Des crampons, un baudrier, un piolet, tout ce qu’il faut pour manger et avoir chaud. Nous entamons l’ascension sous le soleil, les raquettes au pied.
Plus nous nous éloignons du village d’Arolla, plus la pureté nous envahit. Personne n’est passé sur cette neige avant nous ces derniers jours. L’air est frais et le silence est d’or. Serge ouvre la route et nous trace un sillon à coup de raquettes. Gauche droite, gauche, droite, petit à petit, nous prenons tous le même rythme, chacun prenant soin de faciliter un peu plus le chemin du suivant. Comme pour une équipe de cyclistes, une partie de notre énergie se partage avec les autres. Nous nous motivons mutuellement, le succès de cette ascension est dépendant de chacun de nous.


Une nuit dans une cabane au milieu des montagnes
Nous arrivons au refuge quelques heures plus tard. Après avoir déposé nos sacs, nous prenons une minute pour découvrir cet endroit incroyable. Nous sommes perchés sur un relief, entouré d’une chaîne de montagnes. Nous sommes sur le phare qui surplombe la mer de glace. Le vent dessine les vagues mais celles-ci ne bougent pas. Un peu plus haut, Serge nous montre là où nous irons demain. Nous avons beaucoup de chance, la météo est idéale.
Dans le refuge, nous apprenons les rudiments d’un tout autre confort. Ici pas d’eau, pas d’électricité. Il nous faut allumer un feu, et fondre de la neige. C’est réconfortant de sentir la chaleur se répandre autour de nous. On ne manque pas de place et les couchettes sont confortables. Il y a des timbales accrochées au mur et de grandes marmites. Ici et là, des condiments, un peu de café, et des objets du quotidien laissés par les précédents. On se met à l’aise, on échange nos impressions, puis on apprend à se connaître un peu plus, tout en partageant un repas et du thé chaud. Je crois que l’on a trouvé une forme de hygge. C’est un terme nordique qui exprime un état d’esprit positif, amené par une atmosphère réconfortante et conviviale. Le sommeil nous guette. Le silence gagne le refuge paisiblement.

En route vers le Mont Brûlé
Le jour se lève, Serge est déjà en pleine effervescence. Chacun se prépare selon ses consignes, et nous remettons un peu d’ordre dans le refuge. D’ici quelques heures, nous serons au sommet du Mont Brûlé à 3585m. Nous n’emmenons que le strict nécessaire : du pain, du fromage, et des crampons. De quoi profiter d’un bon moment dans un lieu privilégié.
Nos avançons les uns derrière les autres, Serge nous propose d’alterner pour ouvrir la route. Le premier de cordée a la responsabilité de tracer le meilleur chemin. Parfois il vaut mieux tracer un arc de cercle pour contourner une cuvette plutôt que de couper droit et augmenter la quantité de dénivelé. C’est aussi la position la plus éprouvante, parce qu’il revient au premier de creuser la neige.
Même s’il s’agit d’une altitude relativement raisonnable, je sens l’essoufflement me gagner. J’ai beau avoir un bon cardio, je sens que je n’ai pas autant de globule rouge qu’un montagnard. Je respire intensément et les derniers pas sont épuisants. Mais hors de question que je m’arrête ! Encore un pas, encore un, encore un. « Et nous y voilà ! » dit Serge en sortant de son sac un couteau et un morceau de fromage.
La vue est incroyable ! Tout autour de nous, une quantité innombrable de pics enneigés. Le ciel est d’un bleu intense et se reflète dans les zones de glaces qui scintillent. La seule trace de vie que nous observons, c’est le sillon que nous avons laissé dans la neige et le refuge en contrebas, d’où s’échappe une légère colonne de fumée. J’ai l’impression d’avoir une vue illimitée qui s’étend sur toutes les Alpes. Par là l’Italie, ici la Suisse, et de ce côté la France. Au milieu de ces montagnes, on se sent à la fois insignifiant et important. Ca y est je l’ai fait ! Mon premier glacier !

Que notre Terre est belle !
Que notre Terre est belle ! Je redescend un peu sonné, la tête dans les nuages. Il y a un réel sentiment de joie qui nous anime. Je ne voudrais pas être ailleurs qu’ici. Nous prenons le temps d’une courte sieste au soleil, directement allongé dans la neige. Il s’agit simplement profiter de ce moment privilégié. Quand on y pense, il a fallut tellement d’évènements pour que nous nous retrouvions là, ensemble, à cet endroit. La vie nous fait ce cadeau, savourons le !
Nous passerons notre dernière soirée à partager un repas qui a, ici, une toute autre saveur. C’est la fameuse fondue suisse. Nous la dégustons autour d’un feu de bois en nous racontant nos vies. Nous rions et nous écoutons avec beaucoup de plaisir les histoires de Serge, l’aventurier qui a fait le tour du monde.


J’espère rester fou et utopiste jusqu’à mon dernier souffle
Serge Roetheli