Grimper sur un volcan

Pic du Teide - Tenerife

Septembre 2019, je suis à Tenerife, dans l’archipel des îles Canaries. Alexis, un pote d’aventure, s’est motivé pour apprendre le kitesurf. On s’est fixé cet endroit après quelques recherches et je dois dire que le spot d’El Médano, est l’endroit rêvé pour nos premiers essais.

En allant sur cette île je ne peux pas résister à l’envie de grimper jusqu’au Pic du Teide. Il culmine à 3718m, c’est le plus haut sommet de l’océan Atlantique. Malgré toutes les bonnes infos que l’on peut trouver en ligne, je préfère poser quelques questions aux locaux avant de m’engager dans cet environnement que je ne connais pas. La veille du départ, nous rencontrons le gérant du Bliss Café, un français expat qui nous donne quelques tuyaux comme : être sur le pic au coucher du soleil et, au retour, éteindre la frontale et lever les yeux au ciel.

Le lendemain, je me met en route pour le Teide, je vois le pic depuis la plage au lever du soleil et je me dis : « ok ce soir je serai là bas». Alexis s’est malheureusement blessé au pied la veille, il est un excellent batteur et préfère jouer la prudence. Je pars donc seul. Je vérifie mon équipement, principalement de quoi m’hydrater, quelques barres de céréales, un hoodie, la caméra et la frontale, en route !

Ici, c’est la planète des singes ! Tenerife a attiré Hollywood à plusieurs reprises en tant que lieu de tournage. Ça ressemble à la planète Mars, du moins à l’idée que l’on s’en fait. Un sorte de désert magnifique perché au dessus des nuages. Tout est rouge, doré, ocre, le sable, la pierre, les coulées de lave et les oeufs. Oui les oeufs, le volcan les expulse lorsqu’il est en éruption ! Certains blocs de lave dévalent les pentes les plus prononcées et s’arrondissent pour former des boules de pierre qui atteignent parfois plusieurs mètres de diamètre. Ces météorites, crachés par la Terre elle-même, me plongent encore plus dans cet autre monde.

Altavista du Teide

Durant toute la progression, je me rend compte que j’ai rarement vu un ciel aussi bleu. Ce genre de bleu qui semble totalement préservé de la pollution, ce bleu profond qui te donne l’impression d’être seul au monde. Plus je grimpe et plus la limite entre ciel et mer devient floue. Tout est un immense dégradé de bleu. Je marche depuis plusieurs heures. La pente est parfois raide mais elle est facile d’accès et ça me laisse pleinement la possibilité de profiter du paysage, à la différence d’une session d’alpinisme qui demande beaucoup plus de vigilance et qui te plaque le regard au sol.
Enfin, j’arrive au refuge d’Altavista du Teide, qui est perché à 3 260 m. Ce refuge est connu pour être l’un des plus beaux endroits au monde pour observer les étoiles. Au milieu de l’Atlantique et à cette hauteur, la pollution lumineuse est vraiment minime. La nuit va être magnifique. Mais avant de voir ça, direction le Pic !

Pour aller jusqu’au pic, il faut d’abord faire une demande d’autorisation. L’accès n’est effectivement possible que pour un certain nombre de personnes par jour. Je n’ai pas eu le bon timing pour faire cette demande alors je décide de jouer à cache-cache avec les gardes du téléphérique. Après une bonne pause au refuge, je reprend la route en direction du point de contrôle. Le soleil commence déjà à baisser, la progression se fait sur une des dernières coulées de lave, la roche est accidentée, tranchante, et sombre. Ici, il n’y a plus âme qui vive, aucune végétation, pas un oiseau en vue, j’ai l’impression de traverser un enfer éteint, un feu qui n’a pas encore été allumé.

Cache-cache avec les gardes

J’arrive à la station du téléphérique, je passe devant les gardes et l’air de rien, je fais mine de me reposer et de flâner sur la zone. La dernière navette devrait bientôt redescendre, avec eux dedans. Je sens qu’ils m’ont à l’oeil, et je ne dois pas être le premier à tenter ma chance.

Pour gagner en discrétion je décide de redescendre un peu et de leur faire croire que je rentre passer la nuit au refuge qui est à 1h de marche. Une fois hors de leur vue, je me couche derrière un rocher avec le câble du téléphérique dans mon champ de vision. Il n’y a plus qu’à attendre. J’attends environ 40 minutes et enfin, je vois la dernière cabine descendre, le pic est à moi ! Ni une, ni deux, je saute par dessus la barrière, il reste à peine 100 ou 200 mètres de dénivelé, je suis tellement excité que je ne ressens plus aucune fatigue. Le sentier se rétrécit et passe en mode corniche, une chaîne en metal en guise de rampe, je suis bientôt sur le toit de l’Atlantique. Les 50 derniers mètres sont magiques, la roche crache du souffre ici et là, le cratère se dessine dans mon champ de vision. J’ai l’impression que le sol pourrait exploser à tout moment, et ce même si la dernière éruption remonte à 1909, une fraction de seconde à l’échelle géologique.

Sur le toit de l’Atlantique

Une fois au Pic, l’émotion me submerge, tout est tellement immense, le ciel, l’océan, je peux voir 3 couches de nuage, les parties boisées, les parties arides et les autres îles des Canaries qui semblent léviter dans le ciel. Toute l’île est à ma portée à 360 degrés. Je ne sais pas si c’est à cause du gaz ou de l’émotion mais j’ai littéralement les larmes qui montent et ce sont des larmes de joies. La joie d’être à cet endroit, à ce moment. La joie d’être cet électron libre, au milieu de cet endroit magnifique. Le Pic du Teide est entrain de s’imprimer dans mes souvenirs les plus intenses.

Le vaisseau-mère, les étoiles

Après une bonne heure de réflexion, je décide d’entamer ma descente. L’ombre du Teide forme un triangle parfait, comme une pyramide, et cette ombre s’étend déjà très loin vers l’horizon. J’ai l’impression d’assister à l’atterrisage du vaisseau-mère d’une civilisation extra-terrestre. J’entame alors une course contre la montre. Je sais que la seconde moitié du parcours sera plus facile d’accès, il fait de plus en plus noir et j’espère y être avant la tombée de la nuit.


Un noir profond s’étale de plus en plus autour de moi. Mes yeux s’habituent à l’obscurité mais je ne tarde pas à installer ma frontale. Un pied placé au mauvais endroit pourrait me valoir une nuit compliquée. Le Teide m’avait transporté sur Mars pendant la journée, la nuit m’emmène directement sur la Lune. Les rouge deviennent noirs, les jaunes deviennent blanc, la zone s’est transformée en désert immaculé. A mi-parcours, je décide de m’arrêter quelques minutes, j’ai besoin de faire une pause, je marche depuis plusieurs heures. Je me souviens alors du conseil que l’on m’a donné à El Médano : éteindre, attendre quelques minutes, et lever les yeux au ciel. Je laisse mon regard s’habituer au noir à nouveau, puis prés à découvrir un spectacle magnifique, je lève la tête.

En tout honnêteté, il va être très difficile de décrire ce à quoi j’ai assisté à ce moment, mais la première phrase que j’ai eu en tête était : « Wouah ! Ce ciel est vraiment pété d’étoiles ! » Des milliards et des milliards d’étoiles, de toutes les tailles, de toute brillance, des énormes bulles de gaz qui brûlent à des millions de kilomètres de nous, comme le racontaient le phacochère, le suricate et le lion, allongés dans la savane.

Ma garce de vie s’est mise à danser devant mes yeux, et j’ai compris que quoi qu’on fasse, au fond, on perd son temps, alors autant choisir la folie.

Jack Kerouac

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